Le chou-fleur et ses victimes (Sylvain Charlebois)
Notre cuisine s’est certainement métamorphosée depuis quelques années. Malgré tous les changements et toutes les tendances qu’on nous propose, les fruits et légumes demeurent toujours des éléments essentiels à une saine alimentation, et ce, partout dans le monde. Mais selon une étude publiée aujourd’hui par les Universités de Guelph en Ontario et Dalhousie en Nouvelle-Écosse, le prix élevé des fruits et légumes a irrémédiablement affecté les Canadiens ces derniers temps, mais de manière inégale.
Plus de 1000 personnes à travers le Canada ont répondu à un sondage au cours du mois de mai dernier, et les résultats sont stupéfiants. Depuis un an, la hausse du prix des fruits et légumes a forcé plus de 26 % des Canadiens à réduire leur consommation, un seuil alarmant. L’étude démontre aussi que les ménages à faible revenu ont la plupart du temps diminué leur consommation de fruits et légumes. Plus de 45 % des gens questionnés ont acheté ou envisagé d’acheter les produits surgelés, et 16 % ont opté pour les jus en remplacement des fruits frais. Tandis que les personnes interrogées enregistrant un revenu plus élevé optaient pour le surgelé, la majorité des ménages à faible revenu valorisaient les jus comme alternative aux denrées fraîches. Même si certains jus valent plus la peine que d’autres, il était difficile d’évaluer si le choix des consommateurs était judicieux.
Plus troublant encore, il semble y avoir un vent de scepticisme qui prévaut dans l’esprit des consommateurs. Au total, pratiquement 39 % des Canadiens estiment que l’augmentation du prix de plusieurs fruits et légumes est injustifiée. Sans surprise, le scepticisme est plus palpable chez les gens à faible revenu. Il semble y avoir une perception d’abus de confiance entre les précaires et l’industrie agroalimentaire, malgré le martèlement constant des changements climatiques et de la faiblesse du huard qui affectent les prix. Les distributeurs alimentaires devraient considérer ces résultats comme une invitation à adopter une nouvelle approche, ou du moins, un nouvel argumentaire.
Ces résultats sont préoccupants. Certaines statistiques suggèrent que 59 % des jeunes Canadiens ne consomment pas suffisamment de fruits et légumes. Avec les plus récentes hausses, l’étude nous porte à croire que ce pourcentage a sûrement augmenté depuis un an. Et contrairement à la viande, il existe peu de substituts pour ces produits. Un ménage ordinaire dépensera entre 16 % et 20 % de son budget sur les fruits et légumes. Donc, en moyenne, le ménage normal au Canada doit débourser entre 65 $ et 85 $ de plus en fruits et légumes, à cause de l’augmentation de cette année. En valeur nominale, ce n’est peut-être pas grand-chose, mais les Canadiens financièrement éprouvés semblent vouloir prioriser autre chose en un rien de temps, lorsque les prix de bons produits alimentaires sont plus volatils. L’impact sur notre sécurité nutritionnelle est donc énorme.
En tant que société, nous avons porté une attention particulière à la sécurisation alimentaire de nos peuples. Mais la sécurité nutritionnelle est tout aussi importante. Les fruits et légumes ont la cote chez les gens professionnels, riches et éduqués, mais nous devons trouver une façon de les valoriser dans nos assiettes auprès de ceux qui les boudent, dès qu’ils en ont la chance. Une plus grande conscientisation passe par l’éducation pour ceux qui ne savent pas trop quoi faire avec certains produits. De plus, le sondage publié aujourd’hui par les Universités de Guelph et Dalhousie suggère que les consommateurs qui consultent les circulaires et utilisent des applications sur les téléphones intelligents sont plus rationnels. Ayant une stratégie en tête avant de mettre le pied dans un magasin, ces clients épargnent, un point c’est tout.
Pendant que les mieux nantis gèrent bien les aléas d’une bonne nutrition, les laissés-pour-compte étouffent. Bien sûr, une plus grande capacité de production de fruits et légumes domestiques est souhaitable à long terme. Mais en attendant, sans intervenir sur les prix, outillons mieux les plus vulnérables afin qu’ils puissent transiger sur un marché de plus en plus imprévisible.
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