Révélé en début de semaine, le scandale du Service de police de la Ville de Montréal SPVM qui a espionné les données téléphoniques d’un journaliste de La Presse se transforme maintenant en crise politique majeure au Canada, au moment où l’on apprend que la Sûreté du Québec (SQ) a aussi espionné les appels de six autres journalistes.
En décidant de surveiller en 2013 le registre des appels de six journalistes, dont trois de Radio-Canada, la SQ dit qu’elle voulait faire la lumière sur une affaire d’infiltration du crime organisé qui remonte à une dizaine d’années. L’enquête visait notamment à établir les liens entre la mafia, les motards et la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ).
Or, à travers cette enquête complexe, six journalistes, dont Marie-Maude Denis, Isabelle Richer et Alain Gravel, de Radio-Canada, et Éric Thibault, du Journal de Montréal, ont été ciblés par les policiers.
Le capitaine de la SQ, Guy Lapointe, a confirmé mercredi que ces six journalistes avaient fait l’objet d’une enquête puisqu’ils étaient considérés comme des « suspects », en vertu de l’article 193 du Code criminel portant sur l’utilisation ou la divulgation d’une communication privée.
Il a précisé que l’opération visant ces journalistes, contrairement à celle dont a fait l’objet Patrick Lagacé, ne prévoyait aucune écoute électronique ni surveillance par géolocalisation.
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Espionnage électronique par les policiers d’un journaliste canadien : du jamais vu!
Tout le Canada en parle : un chroniqueur de l’important quotidien La Presse a été placé sous surveillance par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), avec la permission d’une juge de paix.
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Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, suit l’affaire de près
À son arrivée à la rencontre hebdomadaire avec ses députés mercredi matin, à Ottawa, le premier ministre canadien Justin Trudeau a été invité à commenter ce qu’on a baptisé l’affaire Lagacé.
« On va regarder attentivement les conversations qui vont avoir lieu entre l’hôtel de ville de Montréal et les services de police de Montréal, mais […] comme on a dit plusieurs fois, ce gouvernement [se porte] à la défense de la liberté de la presse et on va faire ce qui est nécessaire pour l’encadrer, s’il y a d’autres étapes nécessaires », a-t-il déclaré.
Les députés du Bloc québécois, petit parti d’opposition, dépoussièrent pour leur part un projet de loi sur la protection des journalistes et de leurs sources, projet de loi qui était mort au feuilleton en 2008. Le leader par intérim du Bloc Rhéal Fortin veut déposer ce projet de loi révisé dans un peu plus d’une semaine, puisque le Parlement ne siège pas la semaine prochaine.
Projet de loi dépassé
Selon le sénateur indépendant André Pratte, le travail des élus bloquistes est dépassé. « C’est peut-être une base intéressante. Mais depuis ce temps-là, il y a eu deux jugements de la Cour suprême qui ont changé pas mal de choses. Et en plus de ça, et M. Ménard le dit lui-même, il y a des technologies aujourd’hui qui sont très différentes, donc il faudrait le changer pas mal », a dit le sénateur, au cours d’une entrevue mercredi.
Le sénateur note cependant un aspect intéressant de cet ancien projet de loi : il renverserait le fardeau de la preuve. « Il n’appartiendrait pas aux journalistes de démontrer que la liberté de presse l’emporte sur l’intérêt public, mais ça reviendrait aux policiers qui cherchent à obtenir un mandat de démontrer que l’intérêt public, dans ce cas-ci, l’emporte sur la liberté de presse », a détaillé M. Pratte.
« Cette question d’une loi pour protéger les journalistes et leurs sources est dans le paysage depuis des décennies, a-t-il fait remarquer. On est passé à côté de ça à de nombreuses reprises. Chaque fois qu’il y a un cas comme celui-là, on soulève la question et quand l’émotion est retombée, on oublie », s’est désolé l’ancien journaliste aujourd’hui législateur.
Situation dénoncée
Chez les conservateurs et les néo-démocrates, on dénonce aussi la situation, mais sans aller jusqu’à réclamer précisément un projet de loi.
« On exige […] que ce gouvernement fédéral fasse les mêmes efforts que Québec et annonce quelque chose qui nous permette de renforcer les règles en ce qui concerne la surveillance des journalistes », a réclamé le chef néo-démocrate Thomas Mulcair.
Le chef adjoint conservateur Denis Lebel a été plus timide. « Les droits des citoyens canadiens doivent être respectés. C’est au gouvernement actuel à voir à ce que ça se fasse. Et on va voir comment ils vont travailler avec ce qui est en place », a-t-il dit à la sortie de son caucus, mercredi après-midi.
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En tête de l’édition 2015 du Classement mondial de la liberté de la presse publiée en février dernier par Reporters sans frontière figurent trois pays nordiques : la Finlande, première depuis cinq ans, la Norvège et le Danemark. Le Canada figure aussi dans le peloton des dix premiers.
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