Qu’est-ce qui pousse des individus à commettre des actes terroristes au nom de croyances religieuses ou politiques?
Pourquoi des jeunes sont-ils happés par un discours djihadiste soit l’appel au combat pour conserver une terre d’Islam?
Aurélie Campana, professeur de sciences politiques à l’Université Laval, explique les deux choses à retenir quant au djihadisme :
« Principalement il est né dans le contexte égyptien, mais pas uniquement, et est devenu un outil de contestation du pouvoir vu comme trop laïque et trop nationaliste […] Le djihadisme s’est imposé dans le contexte de la guerre d’Afghanistan 1979-1989 contre les Soviétiques […] mais également comme un outil de mobilisation de salafistes souhaitant combattre ce que beaucoup ont appelé des infidèles […] donc combattre pour conserver une terre d’Islam, c’est comme ça que la chose a été vendue. »
À la suite de ce conflit sont apparues plusieurs organisations comme Al Qaïda qui invitaient des combattants étrangers à s’enrôler.
D’autres organisations se sont ajoutées, et la croissance des réseaux sociaux a permis à des groupes comme Al Qaïda et Daech Daech (groupe armé État islamique) d’avoir une stratégie de communication.
« Ils ont mis en place des stratégies de propagande qui jouent à la fois sur la peur et la séduction pour convaincre directement ou indirectement un certain nombre d’individus d’adhérer à leur discours. » -Aurélie Campana
Mais comment dépister les personnes à risque de se radicaliser?
Ghayda Hassan, chercheure clinicienne en psychologie à l’UQAM, cerne la problématique du dépistage :
« Pour faire du bon dépistage il ne faut pas en faire […] en ce moment les données probantes nous disent que les outils de dépistage se trompent dans la majorité des situations et elles causent des stigmatisations, des interventions musclées […] Et on sait très bien que des interventions policières qui n’ont pas lieu d’exister peuvent fragiliser ou pousser la personne plus rapidement dans la trajectoire en raison de l’injustice, de la colère que ça provoque, la stigmatisation. La meilleure façon de dépister c’est de rester à l’écoute de notre environnement, les enseignants, les professionnels dans différents milieux […] Et ça, c’est vraiment à la fois l’expérience clinique qui permet d’identifier les personnes à risque […] Et c’est un peu le modèle qu’on a créé ici qui existe déjà depuis un an, deux ans. »
Cette approche s’implante au Québec et ailleurs au Canada, mais n’est pas aussi présente dans d’autres pays qui adoptent davantage des structures de sécurité.
L’approche de prévention sera étudiée et documentée avec la nouvelle Chaire UNESCO sur la radicalisation à l’Université de Sherbrooke, Ghayda Hassan.
« La raison étant que particulièrement dans le domaine de la radicalisation violente, il y a tellement eu d’investissements dans des programmes qui n’ont jamais prouvé leur efficacité ou encore qu’il n’y a pas eu d’études qui dit que tel programme fonctionne dans tel contexte pour telle personne, c’est ce qu’on appelle l’évaluation réaliste, c’est-à-dire qu’est-ce qui marche pour qui et comment. »
Mme Hassan met en lumière le fait que le Canada ne fait pas encore face à une radicalisation exacerbée.
« Au Canada, on a l’avantage que le phénomène est plus petit. On a des groupes d’extrême droite violents, mais on a va dire que dans la violence extrême le phénomène est plus petit. Ce qui a fait qu’on n’a pas eu tant de programmes qui ont été installés […] OK, maintenant, on sait ce qu’il ne faut pas faire, essayons de voir ce qui peut marcher. »
Selon Aurélie Campana, qui est l’auteur du livre L’impasse terroriste, il faut aussi s’intéresser à la manière dont la personne s’est radicalisée.
« Est-ce qu’il a d’abord radicalisé ses croyances et les a très profondément intériorisées? Est-ce qu’il a un groupe qui pratique de la violence terroriste par suivisme avec une bande de copains, est-ce qu’il était à la recherche d’une nouvelle référence d’aventures? »
Cependant, au Canada, les initiatives de déradicalisation sont assez récentes et il n’y a pas encore suffisamment de recul pour savoir ce que ça peut produire.
« C’est vraiment du cas par cas, c’est vraiment comme la radicalisation…on peut avoir un programme général pour permettre de désamorcer un certain nombre d’individus, de tenter de les déradicaliser, mais après il faut que ce programme soit excessivement flexible et qu’on puisse faire du cas par cas.» Aurélie Campana, auteure du livre L’impasse terroriste
Ghayda Hassan abonde dans le même sens. Il n’y a pas de solutions faciles au problème de gens qui se radicalisent ou qui décident de commettre un acte terroriste.
« Les experts comme Aurélie et bien d’autres dans le domaine, on s’entend que les trajectoires sont très uniques, qu’il n’y a pas de recettes. Il y a des facteurs de risques communs qui traversent ces trajectoires-là, il y a des facteurs de protection […] C’est ce qu’on ferait en fait pour n’importe quelle autre personne qui viendrait nous consulter, qu’elle ait un problème de santé mentale, de santé physique ou autre. On regarde vraiment toute sa trajectoire de vie et ses besoins à la fois pour gérer le risque, mais aussi pour pouvoir l’aider à (on va dire) dévier ou changer de trajet. »
« Je pense que la première étape c’est de connaître le point d’entrée dans la radicalité pour essayer de comprendre comment on pourrait éventuellement essayer de convaincre ces individus que 1) le passage à la violence n’est ni admissible ni légitime, 2) les croyances qu’ils ont intériorisées qu’ils ont faites leurs, ne sont pas les plus légitimes et les plus partagées par la population.»
Dans ce processus long et aléatoire, Mme Campana est d’avis qu’on ne pourra pas convaincre la totalité des individus qui se sont radicalisés.
Dans le cas de deux jeunes du Cégep de Maisonneuve qui ont subi un procès et qui ont été acquittés, Maryse Jobin a posé la question suivante à Ghayda Hassan : est-ce que vous comprenez dans cette démarche qu’on les a « attrapés à temps », c’est-à-dire qu’on a pu faire une démarche auprès d’eux?
« Dans des situations où l’on voit des jeunes glissés vers des trajectoires de violence, il est en effet très positif qu’on puisse intervenir auprès d’eux. Maintenant, je ne suis pas en train de dire qu’il faut intervenir de manière policière et arrêter […] Je ne fais pas de commentaires là-dessus. Sur le niveau du terrain, ce que je peux vous dire, c’est qu’à partir aussi des différentes références qu’on obtient, c’est que le fait de ne pas hésiter à rechercher de l’aide est un facteur clé dans la prévention et dans l’arrêt de l’agir. »
Selon Aurélie Campana, en ce moment on est dans une vague de terrorisme dit religieux et le djihadisme en est la principale composante. Mais pour la professeure de sciences politiques, ce qu’on oublie trop souvent c’est que le djihadisme n’est pas la seule incarnation du terrorisme.
« Si je vous dis aujourd’hui que la forme de terrorisme qui domine aux États-Unis c’est un terrorisme d’extrême droite, en général les gens me regardent un petit peu bizarrement parce que ce n’est pas l’image qu’en véhiculent les médias et pourtant ce sont les chiffres du FBI eux-mêmes qui le disent. »
Écoutez l’entrevue que Maryse Jobin a réalisée avec Ghayda Hassan, chercheuse clinicienne à l’UQAM, à l’ERIT et à la Chaire de l’UNESCO sur la radicalisation.
ÉcoutezRessources disponibles :
Équipe de recherche et d’intervention transculturelles (ERIT)
Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV)
Guide de sensibilisation – Radicalisation menant à la violence (Gendarmerie royale du Canada)