8 ans sans école, aujourd’hui les frères Gamboa réécrivent leur histoire Exemplaire

RediffusionSi l'immigration est l'une des expériences les plus difficiles pour une personne, être un immigrant « sans-papiers », avec des papiers expirés ou encore en ayant un statut d'immigration précaire est encore plus difficile.

En 2017 l’Institut de recherche en santé publique de Montréal a réalisé une étude auprès de personnes migrantes qui n’avaient pas accès aux services de santé au moment des entrevues en raison de leur statut migratoire précaire.

Parmi eux, 70 % étaient incapables de subvenir à leurs besoins essentiels ou à ceux de leur famille. En fait, près de la moitié d’entre eux n’ont pas assez à manger et 40% craignent d’être expulsés s’ils essaient d’obtenir des services publics, des soins de santé ou une éducation pour eux-mêmes ou leurs enfants.

Rencontrez la famille Gamboa, originaire de la Colombie. Arrivés au Canada en 2010 après avoir passé quelques années aux États-Unis, les Gamboas ont vécu pendant plusieurs années dans un vide juridique qui a empêché les trois enfants du couple, James, Matthew et Mark, d'accéder à l'éducation et aux services de santé.

Ces garçons arrivés enfants sont aujourd'hui adultes. Malgré les lacunes dues au manque de diplômes, ils envisagent un bel avenir. À la fin du mois de septembre 2018, ils ont finalement reçu le document de résidence permanente au Canada.

Voici leur histoire.... 

Quand tout a commencé...

La vie de la famille Gamboa au Canada a pris un bon départ.

Arrivés en 2010, les parents, Luz Farin Diaz et Nestor Gamboa, ont été rapidement acceptés comme réfugiés. Les persécutions politiques dont ils ont été victimes et la mort de plusieurs membres de leur famille en Colombie ont été plus que suffisantes pour obtenir l'asile.

Leurs fils, James, Mathew et Mark, n'ont pas subi le même sort. Les garçons sont arrivés en 2011, encore mineurs, à 16, 14 et 12 ans respectivement. Ils sont venus des États-Unis, où ils sont nés. Et c'est précisément la nationalité américaine qui a compliqué les choses pour eux.

Dès leur arrivée, Luz et Nestor ont demandé l'asile politique pour leurs enfants, arguant les mêmes raisons que dans leur propre cas.

 

Une année oui, et l'autre non

Pendant la première année, au moment où Immigration Canada analysait leur dossier, les garçons ont reçu ce que l'on appelle le « document brun » qui équivaut à une résidence temporaire leur accordant tous les droits des personnes reçues pour des raisons humanitaires et politiques dans le pays. Cela signifie le droit à l'éducation et aux services de santé et un montant suffisant pour répondre à leurs besoins fondamentaux. Mais après cette année-là, tout a changé... 

Le document brun a une période de validité précise qui correspond généralement à la période pendant laquelle Immigration Canada analyse le cas des demandeurs. À l'expiration, si le refuge n'est pas accepté, les demandeurs d'asile perdent leurs droits et deviennent immédiatement des personnes sans-papiers.

Les demandeurs peuvent décider de faire appel de la décision des autorités et demander une prolongation de la validité du document brun, à laquelle le ministère répond positivement ou négativement, selon le cas.

Pour les jeunes Gamboa, l'expiration de leur document et le refus d'Immigration Canada en ont fait des clandestins pendant huit ans, soit durant toute leur adolescence.

Ils ne pouvaient pas aller à l'école ou obtenir des soins médicaux gratuits comme n'importe quel enfant canadien. Une réalité qui les a marqués.

 

      Leur témoignage  

Leur cas n'est pas unique...

Ce que les garçons Gamboa ont vécu n'est pas un cas isolé. Au Canada, de nombreuses familles se trouvent dans des situations de précarité ou de vulnérabilité migratoire. Certaines avec des documents périmés, d'autres sans-papiers du tout. Les conséquences émotionnelles et même sur la santé peuvent être graves.

En 2013, la Dre Maria Victoria Zunzunegui, ancienne professeure au Département de médecine sociale et préventive de l'Université de Montréal, s'est intéressée à l'état de santé des immigrants qui se détériore après leur arrivée au pays. L'étude a confirmé que les enfants de familles immigrantes sont en meilleure santé que ceux de familles québécoises lorsque les conditions sont favorables.

Toutefois, dit l'étude, « la précarité de l'emploi, le chômage, l'insuffisance des revenus, le manque de soutien social et la discrimination ont un impact négatif sur la santé mentale et physique des immigrants et de leurs enfants ».

Les observations de Veronica Islas, directrice générale du Carrefour de ressources en interculturel de Montréal, vont dans le même sens. Selon son expérience, la précarité nuit au bien-être des immigrants et de leurs enfants : 

Changements en 2018

À la rentrée scolaire de septembre 2018, on estimait qu’il y avait encore dans la région de Montréal environ 1000 enfants et jeunes de moins de 18 ans sans-papiers officiels ou en situation migratoire précaire.

Déjà en 2013, malgré les difficultés à évaluer le nombre d’enfants se trouvant dans cette situation, le collectif Éducation Sans Frontières estimait qu’entre 30 000 et 40 000 immigrants sans-papiers, dont de nombreuses familles, vivaient dans la ville. Invisibles, disaient alors les membres du collectif, la plupart de ces personnes vivent dans la crainte d’être suivies par les autorités de l’immigration si leurs enfants allaient à l’école.

Rendue publique, cette information a attiré l’attention des médias. Ainsi, le gouvernement libéral québécois de l’époque a subi la pression.  En 2017, le ministre de l’Éducation du Québec, Sébastien Proulx, a présenté le projet de loi 144, approuvé peu après à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Québec en juin 2018. Le projet de loi stipule : 

« Tout enfant dont les parents (ou tuteurs) ont leur résidence habituelle au Québec a droit à une éducation gratuite jusqu’à la fin de ses études secondaires (ou jusqu’à l’âge de 18 ans) »

L'avenir semble plus encourageant, mais...

Avec l'entrée en vigueur de la Loi sur l'instruction publique et d'autres lois portant principalement sur la gratuité des services éducatifs et la fréquentation scolaire obligatoire, on estime que, parmi les milliers d'enfants auparavant exclus des écoles du Québec, une majorité sera scolarisée en septembre 2018 pour la nouvelle année scolaire.

En principe, avec cette nouvelle loi, tous les mineurs ayant un statut d'immigration précaire ont désormais le droit de fréquenter l'école gratuitement.

Cependant, le collectif Éducation Sans Frontières est préoccupé par le fait que beaucoup d'entre eux n'iront pas à l'école (en particulier pour les familles à risque d'expulsion) si la nouvelle loi n'est pas rigoureusement appliquée. Steve Baird du collectif explique.

 

Et dans le reste du monde, les enfants sans-papiers peuvent-ils aller à l'école? 

Dans ce que l'on appelle le droit international, tout enfant de moins de 18 ans a droit à l'éducation gratuite, et les gouvernements nationaux ont l'obligation de la fournir. C'est écrit. Dans la pratique, ce n'est pas toujours le cas.

Dans certains pays, par exemple, l'accès à l'éducation pour les filles reste toujours difficile. Même si elles sont citoyennes. 

François Crépeau, expert en droit des migrants et directeur du Centre des droits de la personne et du pluralisme juridique de l'Université McGill, explique deux types d'attitude envers les enfants sans papiers dans le monde :  

« Certains pays et gouvernements locaux accordent le droit à l'éducation à tous les enfants, quel que soit leur statut d'immigration ou celui de leurs parents. Dans la ville de Toronto, c'est comme ça, les écoles ne peuvent pas légalement demander aux parents des informations sur l'immigration. »

Au Québec, jusqu'à tout récemment, pour inscrire les enfants à l'école, on exigeait soit le certificat de naissance des parents, soit leurs papiers d'immigration. Les choses ont changé récemment.

En fait, dit celui qui a été le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des migrants de 2011 à 2018, jusqu'à ce que des lignes claires soient établies dans la province francophone, la nouvelle loi ne sera pas correctement appliquée : 

Pour François Crépeau, tant que la séparation entre les autorités scolaires et les autorités de l'immigration ne sera pas bien déterminée, l'accès à l'éducation publique gratuite et obligatoire pour tous les enfants ne sera pas une réalité. Tout dépendra alors de la volonté politique. 

Dans le but comprendre la réalité dans la province de l'Ontario, Steve Baird du collectif Éducation sans frontières de Montréal est entré en contact avec le consultant en immigration de Toronto Macdonald Scott qui a été impliqué dans les efforts de l'organisme No One is Illegal Toronto autour de la politique de la ville « Don’t Ask, Don’t Tell ». Celle-ci prévoit qu’aucune preuve de statut migratoire ne soit demandée pour permettre l'accès à l’école (don’t ask) aux enfants de sans-papier et qu’aucune information susceptible de rendre public le statut des migrants ne soit communiquée (don’t tell). 
Macdonald Scott est de l'avis, tout comme le collectif Éducation sans frontières, que le changement de loi qu'on a eu au Québec est beaucoup plus intéressant que la loi de l'Ontario. 
 

« Nous avons toutefois besoin de bonifier la nouvelle loi Québécoise avec certaines dispositions spécifiques pour la confidentialité. [Il faut] notamment des mesures pour assurer que des familles à risque de déportation ne se voient pas demander leur statut  lors de l’inscription puisque ceci provoque parfois que des familles se désistent du processus d’inscription ou de ré-inscription par peur d’être repérées. Aussi, il faut que des exigences de preuves d’adresse soient appliqués de façon à exclure certaines familles qui n’ont pas accès à assez des documents exigés. Donc, il est quand même pertinent d’essayer de tirer des leçons du Toronto malgré les résultats très mitigés et la différence dans la législation. » Steve Baird, collectif Éducation sans frontières

Quoiqu'il en soit, James, Matthew et Mark espèrent qu'un nouveau chapitre de leur histoire s'ouvrira dorénavant, et ils espèrent tous les trois que le destin leur réservera de belles surprises. L'insistance de leurs parents, l'appui de leurs amis et du député fédéral Michel Picard ainsi que la patience ont porté leurs fruits. Aujourd'hui, les jeunes Gamboa sont résidents permanents au Canada. 

 

Pour mieux connaître ces jeunes...

James Di Steffano est le plus âgé et a 23 ans aujourd'hui. Il rêvait de poursuivre une carrière musicale aux États-Unis. Il était membre d'un groupe de jazz de son école. Aujourd'hui, grâce à des vidéos sur Internet, il a appris à jouer de la guitare et d'autres instruments et à composer des pièces.

Mark D'Angelo est le plus jeune des trois. Il a 19 ans. Il sourit et est déterminé. Il a l'âme d'un directeur musical. Il joue du piano et de la batterie avec aisance. Il continue d'apprendre à jouer d'autres instruments et veut poursuivre une carrière musicale.

Matthew Alessandro est le fils cadet et vient d'avoir 21 ans. Il est sérieux et calme. Même sans aller à l'école, Mateo, comme on l'appelle à la maison, a développé une passion pour le design, l'informatique, la photographie et la production musicale. Au premier abord, il semble avoir une sensibilité particulière.

La musique a été l'une des choses qui a aidé les jeunes Gamboa à traverser toutes ces années sans école. Aujourd'hui, ils composent et produisent de la musique ensemble et rêvent de mettre en ligne quelques pièces pour faire connaître leur travail au public. Ils jouent aussi dans le groupe de leur église.

Lors de notre passage chez eux, James, Matthew et Mark ont voulu nous faire entendre une de leurs pièces musicales : 

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