BLOGUE – Ce que la stratégie maritime chinoise révèle de l’accès à l’Arctique canadien
Le 20 juin dernier, l’administration chinoise a dévoilé sa stratégie maritime afin de cibler des routes maritimes prioritaires dans les années à venir. Connu sous le nom de Belt and Road Initiative (BRI), l’objectif manifeste de l’État chinois est de développer des axes de transport afin de mieux rejoindre des marchés de consommation prioritaires, l’Inde et le continent africain, mais surtout, à terme, l’immense marché européen.
L’énoncé de cette politique est fascinant car il permet d’entrevoir comment la Chine perçoit sa montée en tant que puissance mondiale. Déjà bien entamée, cette ascension a fait l’objet de moultes spéculations et peurs, des rangées de librairie entières étant consacrées à l’instabilité inhérente à la montée de l’hégémonie chinoise. Par contre, ce document permet d’analyser la stratégie de l’État chinois quant aux prochaines décennies.
Plus important encore, la BRI insère pour la première fois implicitement l’Arctique dans ce plan de développement. En effet, un des axes prioritaires consiste en l’acheminement du trafic maritime chinois vers le Nord, contournant la péninsule coréenne pour ensuite passer à travers le détroit de Béring puis emprunter le Passage du Nord-Est au nord de la Russie, pour rejoindre ultérieurement l’Europe occidentale.
Et le Passage du Nord-Ouest?
Ce choix de route est intéressant pour le Canada à cause de ce qu’il omet. En effet, aucune mention n’est faite d’une route maritime empruntant le Passage du Nord-Ouest dans l’Arctique canadien, source de crises de souveraineté et sujet délicat au Canada. Certains experts de l’Arctique au Canada avaient averti que la Chine s’apprêtait à défier la souveraineté canadienne sur ce passage. Le plus affirmé, David Curtis Wright, avait ainsi appelé le gouvernement canadien à adopter une ligne dure envers la Chine. Publié en 2011, son analyse se basait sur l’étude de textes universitaires chinois pour extrapoler la position de la Chine, et recommander au Canada « de rester sur ses gardes contre les tentatives chinoises de réduire la souveraineté arctique du Canada ».
La BRI a par contre privilégié le Passage du Nord-Est au Passage du Nord-Ouest. Trois raisons peuvent expliquer ce choix. Premièrement, la fonte des glaces dans la région arctique est imprévisible. En effet, on croyait que les glaces fondraient en premier dans l’Arctique canadien, à la périphérie de la région arctique, avant de s’étendre à l’océan Arctique central. Au contraire, les glaces fondent moins rapidement que prévu dans l’Arctique canadien, rendant toujours difficile l’accès au Passage du Nord-Ouest.
Deuxièmement, l’inaction canadienne et le manque d’infrastructure dans l’Arctique canadien semblent avoir produit un effet dissuasif. Loin de la pensée du use it or lose it , si populaire au début des années Harper, le manque d’infrastructure ne représente pas un point positif pour des États voulant utiliser cette route maritime. Au contraire, le manque de ressources a de quoi inquiéter quiconque voudrait s’y aventurer; la présence de glaces flottantes (d’énormes segments d’iceberg s’étant détachés) et la cartographie approximative font de ce passage un défi de navigation important. L’Arctique russe et le Passage du Nord-Est, pour leur part, jouissent de ressources significatives et l’État russe offre des services afin de faciliter le passage à travers sa région arctique.
Des circonstances favorables à la Russie
Le dernier facteur est davantage circonstanciel. Suite aux sanctions occidentales imposées à la Russie dans le dossier ukrainien, l’État russe se cherche des partenaires afin de mener à bien certains dossiers, surtout économiques. Dans cette perspective, la Chine représente un allié important pouvant se substituer aux anciens partenaires occidentaux. La présence de Vladimir Poutine au forum présentant la BRI est une indication de l’importance donnée à ce partenariat du côté russe. Depuis de nombreuses années, la Russie tente de promouvoir les avantages du Passage du Nord-Est en tant qu’axe maritime alléchant pour la marine marchande. La BRI vient confirmer l’attrait de cette route maritime.
Une crainte demeure toutefois: que la Chine insiste pour considérer le Passage du Nord-Est comme un détroit international. La demande irait alors à l’encontre de la Russie, pour qui le plan d’eau fait partie de ses eaux intérieures, sous sa souveraineté. Cela serait de mauvais augure pour le Canada, car la même prétention peut être avancée quant au Passage du Nord-Ouest. Par contre, la Russie a, au fil du temps, usé de sa puissance pour asseoir ses revendications. Elle a aussi été capable de coopération pragmatique, développant le transport dans le Passage du Nord-Est sans voir sa souveraineté défiée sur ce plan d’eau. La Corée du Sud a été un des premiers pays à l’emprunter, réalisant un transit pour rejoindre l’Europe de l’Ouest.
Un puissant incitatif pour le Canada
Par contre, au fil du temps, cette approche va modeler les attentes : il sera souhaité que les États côtiers, tels que la Russie et le Canada, facilitent les transits. L’approche russe va dans ce sens depuis de nombreuses années déjà. À terme, cela agira comme un puissant incitatif pour motiver le Canada à se doter de moyens et d’infrastructures plus importants afin de mieux gérer les transits empruntant les routes maritimes arctiques au Canada. Nous avons par contre la preuve avec la BRI que, sans ces infrastructures et ressources, le Passage du Nord-Ouest ne représente pas pour l’instant une voie maritime aussi prisée que le Passage du Nord-Est.