Dans le Nord du Québec, Kuujjuarapik et Whapmagoostui : les jumelles hétérozygotes
À la lisière de la taïga et de la toundra vivent deux communautés autochtones au sein d’un même village. Cette situation unique est devenue anodine pour les Cris de Whapmagoostui et les Inuits de Kuujjuarapik. Aperçu de l’un des rares villages de la province illustrant cette cohabitation.
« Comme le village est assez isolé et que se rendre dans le sud [de la province] coûte très cher, les gens sont plus portés à rester ici », explique Richie George, un résident du village né d’une mère crie et d’un père inuit. Selon lui, ce contexte permet aux habitants de consacrer plus de temps à leurs traditions ancestrales et de s’intéresser davantage à la communauté voisine.
Whapmagoostui est la réserve la plus septentrionale du territoire Eeyou Istchee. Kuujjuarapik, elle, s’appelait autrefois Poste-de-la-Baleine. Elle représente la communauté la plus méridionale des quatorze villages inuits du Nunavik.
Même si les communautés vivent l’une à côté de l’autre, elles sont régies par deux systèmes juridiques différents. Depuis la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, les terres inuites sont gérées par le gouvernement provincial, tandis que les réserves cries relèvent du gouvernement fédéral. Pourtant, aucune ligne visible ne sépare le village de Whapmagoostui de celui de Kuujjuarapik.
Le prêtre anglican Tom Martin, qui a élu domicile dans cette région il y a 34 ans, admet qu’il est difficile de différencier les deux communautés.
« À la fonte des neiges, on peut remarquer que [les routes] du côté inuit sont pavées tandis que [celles] du côté cri sont en gravier », constate-t-il.
L’architecture des maisons renseigne également sur l’appartenance de leurs occupants : les résidences des Inuits sont construites sur des pilotis alors que celles des Cris disposent souvent d’un sous-sol.
D’apparences identiques, les deux autorités administratives ne partagent que très peu d’éléments. « Nous nous exprimons dans quatre langues différentes : le cri, l’inuktitut, l’anglais et le français, déclare Richie Sandy. Mais généralement nous communiquons en anglais. »
La religion anglicane, le code postal et l’usage de l’anglais comme langue seconde résument leurs principales similarités. Autrement, chaque communauté dispose de son poste de police, de son service d’incendie, de ses écoles primaire et secondaire, de sa section au dispensaire et de sa radio communautaire.
Selon Tom Martin, le tempérament des deux populations diffère à certains égards. « Les Inuits tendent à être plus individualistes, tandis que les Cris soutiennent davantage leur famille et les aînés », souligne le prêtre.
Un passé commun
Historiquement nomades, les communautés inuites et cries avaient l’habitude de se côtoyer dans la région au printemps et à l’été dès le milieu du 19e siècle lors de la saison de la pêche au béluga.
« Les communautés inuites sont bâties le long des côtes [de la baie d’Hudson et de la baie d’Ungava], mentionne Tom Martin. Traditionnellement, elles sont plus portées à se nourrir d’animaux marins que les Cris qui proviennent de l’intérieur du territoire. »
À la suite de la signature de l’entente de la Baie-James en 1975, une importante partie de la population inuite de Kuujjuarapik a déserté le village pour gagner celui d’Umiujaq, situé à 160 kilomètres au nord. Plusieurs habitants craignaient d’éventuelles retombées négatives du projet hydroélectrique Grande-Baleine.
Rivalités voisines
La cohabitation des deux communautés n’est toutefois pas toujours harmonieuse. Difficile d’aborder ce sujet souvent tabou, derrière lequel se cache l’épineuse question financière.
Selon le secrétaire-trésorier de Kuujjuarapik, Pierre Roussel, les Inuits ont souvent tendance à reprocher aux Cris d’être plus fortunés qu’eux, puisqu’ils sont exemptés de payer des taxes et des impôts sur leur revenu. Ce traitement fiscal différent est la source de plusieurs mésententes entre les Cris et les Inuits.
Les deux administrations tentent tout de même de favoriser un rapprochement. À l’Église anglicane, les messes et les services funéraires sont à la fois en inuktitut et en cri. Certaines activités sportives sont aussi l’occasion de réunir des jeunes Cris et Inuits.
« Même si certains évènements sont parfois séparés, les gens qui ne font pas partie de la communauté qui les organise sont toujours les bienvenus à y participer », assure Richie Sandy.
L’épouse du prêtre anglican, Marianne Martin, est directrice du Centre de pédiatrie sociale Minnie’s Hope. L’organisme, qui est affilié à la Fondation du Dr Julien, offre un soutien aux résidents à la fois de Kuujjuarapik et de Whapmagoostui.
Selon elle, de plus en plus de couples mixtes se sont formés au cours des dernières années. Les enfants issus de ces unions sont donc à la fois Cris et Inuits; une corde à leur arc quand vient le temps de communiquer dans les deux langues avec leurs pairs, mais un bagage parfois difficile à porter sur le plan identitaire.
« Nous sommes très conscients de la question de l’identité, c’est pourquoi nous aidons les jeunes en nous assurant de préserver chaque aspect de leur culture », soutient Marianne Martin.
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