Aalaapi, un voyage immersif dans l’Arctique québécois
Il faut savoir tendre l’oreille et faire silence pour percevoir le sifflement de l’aquilon lorsqu’il frôle les maisons sur pilotis du Nunavik, dans le Nord québécois. Cette posture d’écoute, Mélodie, Akinisie, Audrey, Louisa et Samantha la connaissent bien. En inuktitut, les cinq Inuites emploient l’expression « aalaapi » pour désigner cette manière de garder le silence pour écouter ce qu’il y a de beau. Dans une œuvre mêlant documentaire radiophonique et théâtre, Aalaapi invite les spectateurs à se prêter à cet exercice contemplatif. La pièce sera présentée du 29 janvier au 16 février à Montréal.
Le projet initial est un documentaire radiophonique, présenté sous la forme d’un balado, qui se décline en une pièce de théâtre. « Ce n’est pas un documentaire sur le Nord, c’est un documentaire qui soulève des doutes, qui pose des questions, qui offre des réflexions sur la parole [et] sur la valeur du silence », précise d’emblée la réalisatrice du balado et cofondatrice de l’organisme de création radiophonique Magnéto, Marie-Laurence Rancourt.
Les radios communautaires occupent une place importante au sein des 14 communautés inuites du Nunavik. Le choix de la radio comme médium de création allait donc de soi pour la documentariste Marie-Laurence Rancourt et la metteure en scène Laurence Dauphinais, les idéatrices du projet.
Après avoir reçu une bourse du programme européen Gulliver, qui finance des créations radiophoniques francophones aux quatre coins du globe, ainsi qu’une subvention de 90 000 $ du Conseil des arts du Canada, les deux femmes ont approché des étudiants inuits du Collège Montmorency, au nord de Montréal.
À la suite de leurs démarches, cinq jeunes femmes se sont portées volontaires pour prendre part au projet. « Ça nous a permis de créer des liens d’amitié; on a eu du fun, on a ri ensemble, on a pleuré ensemble », se remémore Mélodie Duplessis, une Inuite originaire d’Akulivik, une communauté de quelque 600 habitants située sur la côte est de la baie d’Hudson.
Depuis sa sortie du Collège Montmorency, la jeune femme travaille par alternance de deux semaines à la mine Raglan, près de Salluit, au Nunavik. « Je n’avais pas d’expérience officielle en radio […] mais le micro, ça ne me gênait pas! », lance-t-elle au bout du fil, en riant.
Fixer les bases
« Tout était à construire au départ », se souvient Marie-Laurence Rancourt, qui admet avoir trouvé « vertigineux » les balbutiements du projet. Les deux créatrices voulaient se donner le temps de tisser un lien de confiance fort avec les interprètes. « Ces jeunes-là sont très sollicités; c’est presque à la mode en ce moment de faire des projets [avec des Autochtones] et c’est justement ce que l’on voulait éviter », souligne Laurence Dauphinais.
Les créatrices ont fait appel à plusieurs experts, dont des artistes, des professeurs d’université et des Autochtones pour éviter toute forme d’appropriation culturelle et d’instrumentalisation de l’identité inuite. « Quelle est la façon pour des non-Autochtones de travailler sur un projet avec des Inuits? », s’interroge la metteure en scène. « On est dans le doute depuis le début et on continue à l’être, mais je pense que c’est ça la force du projet », poursuit-elle.
Voyage sonore
Sifflement du vent, craquements de pas sur la neige, chants de gorge… Les sons intégrés dans le balado ont tout pour faire ressentir à l’auditeur la singularité du Nord. Les femmes y échangent aussi en inuktitut, en français et en anglais sur leur quotidien sous ces latitudes, sur « la vie telle qu’elle est ». « J’aimais beaucoup l’idée de parler de tout et de rien », indique Mélodie Duplessis, le sourire dans la voix.
« On rentre dans des portraits intimes de jeunes femmes qui avaient envie de parler d’elles-mêmes autrement que seulement par leur identité d’[Inuites], décrit la metteure en scène Laurence Dauphinais. Elles avaient envie de s’éloigner des clichés qui viennent avec leur identité culturelle. »
L’idée était de laisser libre cours à la créativité des jeunes femmes sans avoir à les diriger à la manière d’une pièce de théâtre conventionnelle, précise Laurence Dauphinais. Encore faut-il, explique-t-elle, accepter de se placer dans une posture d’écoute quasi contemplative.
Laurence Dauphinais, metteure en scène de la pièce Aalaapi
Dans l’œuvre théâtrale, deux artistes visuelles inuites, Hannah Tooktoo et Nancy Saunders, se placent à leur tour dans une posture d’écoute. Entre quelques ellipses temporelles, elles y incarnent leur propre personnage qui entre en relation avec le documentaire.
« Le spectacle se veut un accès au Nord et à ces femmes, mais un accès que l’on mérite, nuance la metteure en scène. Le spectateur doit gagner cet accès, par le temps, par l’écoute et par la patience. »
Il n’est pas commun de voir des balados se transposer sur les planches. Mais selon Marie-Laurence Rancourt, le projet ouvre une infinité de possibilités sur les formes sous lesquelles peut se décliner une production radiophonique.
Aalaapi sera présenté du 29 janvier au 16 février au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, à Montréal.