Nord canadien : les francophones d’Iqaluit, jeunes mais souvent de passage
Plusieurs s’étonnent, en arrivant à Iqaluit, dans l’est de l’Arctique canadien, d’apprendre qu’il y existe une troupe de théâtre francophone. Les francophones ont également accès à une radio communautaire qui vient de célébrer ses 25 ans, un journal communautaire, une école et une garderie, et plus encore.
Au fil des ans, les francophones se sont donné des outils pour accroître l’utilisation du français dans la région bien avant la création du Nunavut en 1999. L’Association des francophones de Frobisher Bay, qui a précédé l’Association des francophones du Nunavut, a été créée en 1981.
Des 7 740 habitants (recensement de 2016) qui habitent la capitale nunavutoise, Iqaluit, 460 déclarent le français comme langue maternelle mais très peu sont nés sur place. Toutes langues confondues, 1 400 habitants d’Iqaluit sont arrivés d’autres provinces au cours des cinq années précédentes, 515 dans les douze mois.
La présidente de l’Association des francophones du Nunavut, Mylène Chartrand, habite Iqaluit depuis douze ans.
Partis pour l’appel du Grand Nord, un poste haut placé dans la fonction publique, ou l’envie de faire un « coup d’argent », Valérie Hélène Gagnon de l’organisme francophone de développement économique Carrefour Nunavut affirme que la question préoccupe.
« Ça fait en sorte que le taux de roulement est extrêmement élevé parce que, justement, les gens, leur objectif en fait, étant de faire un petit peu plus de sous. On peut parler de six mois à un an et demi et parfois moins donc ça peut être très très rapide. »
Ce roulement peut peser lourd sur les organismes francophones dont le processus de recrutement est déjà exigeant. Mylène Chartrand admet, par exemple, que le plan de développement global, récemment publié pour la communauté francophone, pourrait ne jamais servir à ceux qui l’ont élaboré. Par contre, le document permet d’asseoir sur papier les objectifs, dit-elle.
« C’est vrai que c’est quand même un grand défi d’avoir une continuité dans certains projets, dans certaines idées, dans certaines organisations, il y a un renouveau qui se fait au niveau des conseils d’administration, des projets, par contre, le côté positif je pense avec des nouvelles personnes ça amène des nouvelles idées. »
Le roulement apporte également son lot de défis du côté de l’École des Trois-Soleils, l’école francophone qui se vante d’être la plus septentrionale au monde et qui accueille cette année 94 élèves.
Ce nombre représente près du double de celui des élèves inscrits quand le directeur, François Ouellet, est arrivé à Iqaluit, il y a une dizaine d’années, comme enseignant.
« Avec plusieurs personnes qui s’ajoutent à nos nombres, on a beaucoup d’informations à partager et beaucoup de perspectives à leur faire part. L’école a été bâtie par des parents qui ont voulu que leurs enfants aient une éducation de langue française, donc il y a toute cette réalité-là de la construction identitaire, la francophonie minoritaire. »
Comprendre le contexte culturel inuit pour favoriser la rétention
Près de 60 % des Iqaluitois sont inuits, la majorité d’entre eux parlent l’inuktitut. Il y a par ailleurs autant d’immigrants que de francophones.
« Iqaluit c’est une place très cosmopolite, c’est drôle de le dire pour une ville dans le Grand Nord sur la Terre de Baffin mais effectivement, il y a des gens d’un peu partout ici puis nos élèves viennent de familles mixtes, familles exogames autant francophones et anglophones que francophones et inuites et, pour le secondaire, la majorité sont des bénéficiaires inuits », souligne François Ouellette.
Mylène Chartrand renchérit. « Il faut prendre le contexte dans lequel on évolue. La communauté inuite qui, elle-même, a ses défis par rapport à sa langue, à ses droits, donc c’est d’assurer un équilibre là-dedans, de trouver notre place. Certainement les francophones ont également des droits linguistiques. »
Le fait que la loi territoriale sur les langues officielles reconnaisse le français et l’inuktut sur un même pied d’égalité que l’anglais permet, selon la présidente, à ces deux langues de « servir de levier à l’une et l’autre […] c’est un combat qui peut se mener en équipe ».
Valérie Hélène Gagnon croit qu’en préparant mieux les nouveaux arrivants au contexte culturel, les chances de rétention en seraient accrues. Deux projets sont ainsi en cours, d’une part un programme spécifique au Nunavut, un autre pan-territorial.
« De préparer les candidats avant même qu’ils arrivent sur le territoire, qu’ils comprennent dans quoi ils s’embarquent et, dans le fond, la surprise par la suite elle est moindre quand t’arrives sur le territoire. […] Évidemment, on parle des emplois mais on vend également le mode de vie. Est-ce que c’est fait pour vous le Nord? Est-ce que vous savez dans quoi vous vous embarquez? Est-ce que vous savez à quoi vous attendre? […] Si vous aimez l’aventure je pense que ça va être la plus belle expérience de travail que vous allez avoir mais une expérience de vie en premier lieu. »
L’inclusion comme solution
Les activités de la francophonie misent donc sur l’inclusion.
La radio communautaire CFRT a, de tout temps, diffusé de la programmation en anglais et en inuktitut. La salle du Franco-Centre est régulièrement louée pour des événements organisés par d’autres organismes.
Et, lors des productions souper-théâtre de la troupe Uiviit, nombre de spectateurs suivent la pièce grâce aux sous-titres en anglais.
Pour Mylène Chartrand, l’un des grands succès est la participation des politiciens au banquet annuel de la francophonie. « Je pense que c’est un bon signe comme quoi ils sont intéressés par notre communauté, intéressés à savoir ce qui se passe, avoir un dialogue avec nous. »